La fille

A notre premier entretien, j’étais déjà sous le charme. C’était il y a près de six mois déjà. Elle m’avait détaillé ma fiche de poste et je n’avais fait rien d’autre que la regarder en dodelinant suffisamment régulièrement de la tête pour qu’elle ne se doute pas de l’émoi qu’elle provoquait en moi. Elle avait, jour après jour, cette façon de se mouvoir dans les rayons, à la fois discrète et décidée, de raconter les déboires de son métier avant de rire aux éclats comme si aucune contrariété n’avait de réelle importance, de sembler si sûre, si confiante quant à sa place dans le monde et d’en aimer chaque être… Peut-être, en miroir inversé, reflétait-elle la somme de tout ce que je comptais en négatif chez moi, d’absent ou de défaillant. Sa vie me semblait suivre toute en allégresse les notes d’un papier à musique dont je parvenais à peine, sur le mien, à déchiffrer le sens.

Il y a une heure à peine, elle m’a confiée, une pile de livres dans les bras : « J’ai rencontré quelqu’un, Anna ! Une fille extraordinaire... Tu vas l’adorer ! » Une fille. Extraordinaire…