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Le désir

  • Photo du rédacteur: Gabe
    Gabe
  • 9 juil. 2023
  • 5 min de lecture

Je me souviens de la carte,

je me souviens de la carte routière dépliée dans mes mains

et du fait qu'il fallait absolument, inévitablement, trouver la bonne route dans ces entrelacs de fils bleu, vert, jaune – la suivre du bout de l'index, faire en sorte que le point A puisse rejoindre le point B sans encombres, en évitant l'écueil sans issue des chemins de traverse, l'en-dehors des clous, l'envers du décor et j'en passe

mais c'est le désir qui prime, même à l'époque

mon cerveau s'embrumait tellement vite, si rapidement que tous ces traits se confondaient entre eux jusqu'à ne plus ressembler qu'à un magma dégoulinant de couleurs indéfinissables

(ou alors d'une teinte unique, mais non répertoriée dans le prisme : innommable)

Il suffisait alors d'affirmer quelque chose pour qu'immédiatement la vérité s'amenuise, qu'elle s'égrène jusqu'à former une peau de chagrin ridicule et m'échappe en un filet de poussière.

Vérité de merde.


J'ai bazardé la carte, je piétine, je pourrais défoncer les portières.


Je suis particulièrement sensible lorsque les femmes portent du rouge à lèvres

aux courbes juteuses des fraises et du raisin : rubis, vermeil,

pourpre ou zinzolin.

Je voudrais avoir des poings sans phalanges, les bras longs comme des anguilles et baiser jusqu'à ce que la mort nous sépare,

les faire hurler, dans la joie comme dans la douleur.

S'il faut je piquerai mes veines. Je les enroulerai le long d'une centaine d'aiguilles comme une barbe à papa et le moment venu, j'en ferai des boucles à tes poignets,

des liens noués à chaque montant du lit, où assise

je tricoterai tes pull-overs.

Mes muscles, effilochés, nous serviront de laine.


J'ai deux choses en tête. La tienne

notamment.

L'autre, c'est le doute, comme avant sur les aires d’autoroutes.

En voiture je ne suis pas bonne, je manque de concentration. Étendue sur les sièges arrières quand mes songes cultivent le pourtour de tes seins tout est plus simple.

Je n'ai pas l'âme d'un chauffeur, encore moins d'une mécanicienne :

creuser les tranchées entre tes cuisses et affermir le contour de tes hanches, voilà l'idée que je me fais

du travail.

Je pourrais labourer la terre de ton dos, les rigoles de sueur en rafraîchirait ses champs. En t'écoutant je trouverai la meilleure manière de te remplir le ventre.

Moi la chienne, l'impure, l'hérétique,

mécréante oubliée des dieux et du monde

en ta demeure pourrais-je faire pousser le blé nécessaire au pain, les grappes d'une vigne qu'on s'imagine d'un jour à l'autre transformer en vin souple et mûr ?

Sa robe est de fruits rouges et sûrs.

Peut-être qu'en réunissant suffisamment de preuves, je disculperai mes fautes. Si tu veux bien (s'il te plaît) oublier la défaillance

l’envers de ces couteaux aux crimes jamais punis.

Il faut savoir qu'enfant, je dédaignais les nus, obnubilée par le Livre. J'ai cru détenir quelque secret en retenant ses mots ; j'ai suffoqué dans une mer de silence.

Des clés forgées à la chaîne mais sans serrures – à quoi d'autre correspond la jeunesse ?

Ce n'était pas vraiment « être coupable » que d'avoir la curiosité d'y penser pourtant, de l'effleurer avec la pulpe des doigts – mais timidement, en retenant mon souffle,

lorsqu'elle feint de dormir et peu importe ce que mes mains deviennent

quand elle se jette dans le sommeil comme aux pieds d'une idole, qu'elle choisit par lâcheté, par pudeur ou par peur (comment lui en vouloir ?) de

ne surtout

pas

se souvenir.

J'ai fait le nécessaire pour ne rien regretter. Mais


les bonnes réponses ne sont jamais les mêmes.

Tous les matins ou presque je l'observe de loin, qui boit son café en terrasse la tête plongée dans ses lignes.

Elle ne me regarde pas.

Ou plutôt devrais-je affirmer : elle ne me voit pas.

Deux constats et la sentence est un mur. J'avance plus vite ou plus lentement, je gratte l'espoir où il se trouve. Le bouge d'un rat galeux dans la muraille de Chine, les paumes qui battent la pierre qui résonne et toi la fille femme victime et bourreau du manque.

J'ai peur de l’autre. De mes ongles cassés, aveuglément crispés autour de ton cou et déchirant ton doux visage. Avant le reste. Quel saint tuer ?

Se nourrir, je pense, s'attiédir de violence. J'ai tellement froid

et si par ta faute je n'avais plus jamais chaud.

C'est moi que j'écartèle. Ce sont mes cris, enfoncés dans ma gorge.

Mon problème, mon humiliation, ma drogue. Crevez-moi.

Au corps en vrac la foudre des électrochocs la camisole du fou. Prédicateurs ! de vos courroux jailliront les vaisseaux brisés, les os détruits, la maladie

puisque aucun homme n'est radiographié dans mon crâne,

réparez-moi.

Je voudrais plaire.

L'absence au creux des entrailles, c'est mille fourmis en file indienne. Tandis qu'elles grimpent, sanglés sous leurs abdomens : des tenailles, des clous, lames de rasoir.

Caprice imbécile et douleur savante. Je perds le sens des réalités.

Les yeux fermés, la passion monte. Ce filament d'odeurs quand tu expires, l'empreinte du gâteau au citron que l'on mange, une part pour deux.

Approche ta chaise, fais un effort.

Un sursaut des paupières et ta bouche est la mienne,

un frémissement des cils et je te suce la langue.


Salive.

Ça ruisselle comme la pluie sur nos joues, les flaques d'eau, nos jambes

- qu'importe leurs défauts, elles sont quatre quand même -

Vomir la vie entière et me soûler de toi

jusqu'à la lie

c'est la fin du labeur et le festin du pauvre, oui ! la raison d'exister, la

Joie.

Pure.

Or, ils sont là. Du soir au matin une armée de soldats l’œil alerte peaufine son œuvre d'art. D'immenses barricades de pacotilles, putes alanguies sur banc d'ivrognes, mannequin bidon des lingeries fines et telle actrice de porno de gare

choisis ta reine, chuchotent-ils – non, pas celle-là. Petite conne. Aux mâles la tendresse et les faveurs des muses, à ta rétine cent piles d'images

aux corps plastiques.


Jacques a dit : famine. Guerres intestines.

La Saône engloutit

dans ses reflets quand mes pas vaguent

alcool et mélancolie.

Elle part pour le week-end, elle va toujours trop loin. Happée par la routine et l'ennui je m'endors lasse de ma peau.

Elle me met à l'épreuve, (je pense) dans les moindres recoins de mon esprit elle cherche ce qui me trahit.

Pourquoi ?

Je ne mange plus, je fume cigarette sur cigarette. Cela fait-il de moi quelqu'un de laid

de s'accrocher aux mots en l'air, de négocier un rab de force

et tenir de la sorte

jusqu'à demain peut-être…

Émouvante et cruelle est

l'énigme que tu portes.


Veuve, je ne suis plus,

ne serai plus,

la paria de personne. Contre ma tempe un canon ferait l’affaire. L’explosion d’une chimère hors d’usage, le sang répandu dans les failles des trottoirs. Mesdames !

en le puisant pour arroser vos plants, il se pourrait

que vous fassiez pousser des fleurs.



Décembre 2017













 
 

©2020 Gwenaëlle Anna B.

©photo Olivia Bee

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